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Le bocage fait feu de tout bois


La coopérative normande Bois Bocage Énergie développe une filière locale en exploitant les haies. L'entreprise a fait des émules, dessinant un modèle économique de circuit court.

Lorsque des prairies et des champs cernés de haies bocagères dessinent le paysage, il y a de fortes chances que vous soyez en Normandie. Peut-être même dans l’Orne où des élus, citoyens ou agriculteurs, ont décidé, depuis une dizaine d’années, de préserver ces paysages en y puisant une source d’énergie renouvelable : le bois. En effet, contrairement aux énergies fossiles, qui mettent plusieurs millions d’années à reformer leur stock, le bois est une ressource qui se reconstitue relativement rapidement si elle est bien gérée. L’entretien de ces haies a longtemps été considéré comme une charge par les agriculteurs. Mais depuis 2007, lorsque la coopérative Bois Bocage Energie (B2E) est créée à Chanu, dans l’ouest du département, elles sont devenues une source de revenus complémentaires. Cette société coopérative d’intérêt collectif (Scic) achète aux agriculteurs le bois déchiqueté issu des coupes d’entretien pour le revendre, après séchage, sous forme de plaquettes aux utilisateurs de chaudières à bois.


A Chanu, la maison de retraite était déjà équipée d’une telle chaudière au moment de la création de la Scic et fut l’un des premiers clients. Il a fallu convaincre ensuite des particuliers, mais surtout des communes et des communautés de communes d’opter pour ce mode de chauffage dans leurs écoles, mairie, logements communaux...


Bois Bocage Energie couvre aujourd’hui l’ensemble des zones rurales du département jusqu’au Perche, avec un réseau d’une dizaine d’antennes locales qui sont autant de circuits courts du bois énergie. Chaque antenne coordonne sur son territoire l’offre des agriculteurs et la demande des clients, tout en veillant à une gestion responsable de la ressource.


Un objectif environnemental


Les 25 sociétaires présents à la création en 2007 sont devenus 200 aujourd’hui. On retrouve parmi eux des agriculteurs (140), des collectivités (une vingtaine), mais aussi des clients privés, les salariés de la Scic et des organisations partenaires, comme des associations de défense de l’environnement. C’est l’avantage du statut de Scic : à la différence des sociétés coopératives et participatives (Scop), il n’associe pas seulement les salariés à la gestion de l’entreprise comme sociétaires, mais potentiellement toutes les personnes intéressées à un titre ou à un autre au projet, au sein de différents collèges qui regroupent chaque catégorie de sociétaires.


Selon Jean Huet, chargé de mission au sein de l’inter-réseau des Scic, "le statut Scic permet en particulier d’internaliser les conflits potentiels entre les différents acteurs, notamment en ce qui concerne les prix". Autrement dit, l’activité économique, ainsi gérée, peut plus aisément rester un outil au service de l’intérêt collectif qu’est la préservation des haies bocagères. "Nous réalisons pour chaque agriculteur un plan de gestion de ses haies, afin de garantir le renouvellement de la ressource", souligne Laurent Nevoux. Une question qui ne préoccupe que trop peu les grands opérateurs.


Un rapport demandé par le ministère de l’Agriculture, en amont d’un plan d’action pour l’agroforesterie prévu d’ici fin 2015, a rappelé récemment tous les effets bénéfiques des plantations d’arbres et de haies sur l’espace agricole : enrichissement des sols, captation d’eau profonde qui irrigue la terre, mais aussi capture des excédents de nitrates dus aux intrants chimiques, effet parasol pour l’élevage l’été, atténuation de l’érosion des surfaces cultivées et, bien sûr, production de bois, aujourd’hui valorisable. Le plan d’action devrait fixer des objectifs d’augmentation des haies bocagères, qui reculent aujourd’hui chaque année de 1 %.


Le modèle de B2E a fait des émules. Actuellement, 22 Scic sont en activité dans le secteur du bois énergie, principalement dans l’ouest de la France. Et d’autres projets sont en gestation. La ressource bois provient tantôt du bocage, tantôt des forêts, mais aussi des rebuts des scieries.


Pérenniser le modèle


La multiplication des Scic sur cette activité ne doit toutefois pas masquer les difficultés auxquelles elles doivent faire face. Paradoxalement, la croissance à deux chiffres (+ 23 % en 2013) du bois énergie est source de contraintes supplémentaires. Cette croissance est le fruit de la multiplication des centrales thermiques de grande puissance utilisant la biomasse. Le Fonds chaleur, mis en place en 2009 par les pouvoirs publics, a en effet incité les grands groupes de l’énergie et les collectivités locales à investir dans des réseaux de chaleur urbains fonctionnant au bois. A Rennes, par exemple, le bois contribue aujourd’hui à hauteur de 52 % à la production de chaleur pour le réseau urbain.


Lorsque les gros énergéticiens se sont lancés (EDF, Engie et maintenant Total), "il y a eu un appel d’air sur la demande de bois", raconte Laurent Nevoux, gérant de Bois Bocage Energie. Les forêts françaises ont beau être parmi les plus importantes d’Europe, elles ne sont que peu exploitées, et toutes les sources d’approvisionnement étaient bonnes à prendre : bois industriel (résidus de scierie, papeterie...), bois forestier, bois de haies... et les prix ont grimpé. Du coup, la concurrence est devenue plus rude : "des sociétés qui assurent l’abattage, le déchiquetage et le transport pour ces grosses centrales contactaient les agriculteurs de la Scic pour tenter de leur acheter leur bois sur pied", s’inquiète Laurent Nevoux.


Cette forte pression sur la ressource a effrayé nombre de petites collectivités, qui ont mis en sommeil leurs projets de chaufferies bois, craignant de ne pouvoir s’approvisionner. Or, ces collectivités rurales sont le coeur de cible de la plupart des Scic telles que Bois Bocage Energie. Résultat : des cycles violents. "Il y a dix-huit mois, nous n’avions plus que trois mois de stock ; les prix étaient montés de 30 %. La pression était très forte. Aujourd’hui, nous sommes en surplus", constate Emmanuel Lelièvre, gérant de la Scic Mayenne Bois Energie.


"Il nous a fallu réagir vite, explique le gérant de B2E. Les marges sur la vente de plaquettes sont faibles et il faut atteindre un volume d’au moins 5 000 tonnes par an. Pour améliorer notre résultat net, nous avons décidé d’élargir le champ de nos prestations." La Scic propose désormais aux collectivités un service global, de l’installation de la chaudière à la fourniture de bois en passant par la maintenance. "C’est nous qui prenons le risque à la place de la collectivité puisque nous investissons dans la chaudière et nous vendons du kWh de chaleur. Cela demande une ingénierie financière beaucoup plus importante, et il nous faut nous entourer d’entreprises partenaires pour l’installation et la maintenance à trouver sur le territoire", explique-t-il.


Pour ce faire, Bois Bocage Energie a pu s’inspirer de l’expérience d’Ere 43, une autre Scic située en Auvergne. "Nous avons conçu en 2006 un projet modulaire, c’est-à-dire une chaufferie adaptée aux petits équipements : une école et quatre maisons, un restaurant équipé d’une balnéothérapie, une maison de retraite... Et nous proposons un service de l’arbre au radiateur", explique Jacques Villevieille, cofondateur et gérant d’Ere 43. La Scic gère ainsi une vingtaine de chaufferies dans un rayon de 30 km autour de son siège social et trois personnes travaillent pour son compte à temps plein, contre deux aujourd’hui à B2E. De fait, les 22 Scic existantes sur ce créneau restent des petites entreprises tant sur le plan du chiffre d’affaires (de 150 000 euros pour les plus jeunes à 700 000 euros pour les plus développées) que des ressources humaines (un à trois emplois directs).


B2E s’est aussi résolue à vendre des plaquettes à des chaufferies de plus grande taille. C’est une entorse à l’engagement initial de la Scic de ne travailler que pour des petites chaufferies rurales. Mais la nécessité d’atteindre le seuil de 5 000 tonnes par an pour assurer l’équilibre financier a primé. "Avec trois grosses chaudières qui s’installent à une vingtaine de kilomètres de nos plates-formes, on ne pouvait pas passer à côté", explique Laurent Nevoux.


Le bois, lorsqu’il est brûlé, libère évidemment lui aussi du CO2. Mais tant que sa combustion ne se traduit pas par de la déforestation et ne fait que libérer le CO2 stocké précédemment pendant la croissance des arbres, il reste beaucoup moins polluant que d’autres sources de chaleur : les émissions de CO2 nettes sont en effet divisées par douze par rapport au fioul et par six par rapport au gaz, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).

Le chauffage au bois émet en revanche potentiellement de nombreuses microparticules susceptibles d’entraîner de graves pollutions locales. Mais celles-ci peuvent - et doivent - être retenues par des filtres avant d’arriver dans l’atmosphère.



Depuis trois ans, le chiffre d’affaires de B2E augmente fortement. Il flirte aujourd’hui avec les 500 000 euros et la Scic a dégagé ses premiers bénéfices en 2012. Huit ans après sa création, elle a passé un cap. Mais il lui reste à mieux valoriser la singularité environnementale et économique de sa démarche pour que le modèle soit véritablement reconnu et adopté. Notamment par les petites collectivités.

Alternatives Economiques n°350 - 10/2015 Philippe Chibani-Jacquot


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